Interview de Michèle BODMER, coordinatrice de l'association Deuil'S

Le deuil est souvent un sujet délicat et difficile à aborder

Interview de Michèle BODMER : « Le deuil est souvent un sujet délicat et difficile à aborder »

Certains sujets, bien qu’universels et profondément ancrés dans nos vies, restent étonnamment absents des discussions collectives. Le deuil, avec tout ce qu’il représente en termes de douleur et de transformation, fait partie de ces réalités trop souvent ignorées, en grande partie à cause du tabou qui entoure la mort. Pourtant, il touche chaque individu à différents moments de sa vie, sans distinction d’âge, de culture ou de statut social. Claude Membrez, président du Lions Club Genève, a fait le choix courageux d’aborder ce thème aux côtés du diabète, en le plaçant au cœur de son mandat. Ce choix traduit une sensibilité particulière à ces défis silencieux mais cruciaux, qui façonnent la vie de tant de personnes. Loin de se limiter à un simple constat, il exprime une volonté d’agir : sensibiliser, apporter des solutions concrètes et créer des espaces de dialogue pour ceux qui traversent ces épreuves.

Fondée en 2018, l’association Deuil’S s’inscrit pleinement dans cette dynamique. Grâce à une approche à la fois humaine et structurée, elle offre un accompagnement précieux aux personnes endeuillées, qu’elle appelle avec justesse les « deuilleurs ». En mobilisant un réseau de 25 partenaires qualifiés, l’association propose un soutien adapté à chaque étape du deuil, combinant écoute bienveillante, aide pratique et outils personnalisés. Rencontre avec Michèle Bodmer, coordinatrice de l’association Deuil’S.

Lions Club Genève Dans de nombreuses cultures, la mort reste un sujet tabou, souvent entouré de malaise et d’évitement. Pourtant, il s’agit d’une réalité universelle à laquelle chacun est confronté tôt ou tard. Selon vous, quelles sont les raisons profondes de cette difficulté à aborder le deuil et la mort dans notre société actuelle ?

Michèle Bodmer La mort est un sujet tabou pour plusieurs raisons. L’une des principales est que notre société valorise avant tout la vie, la réussite et le progrès. Il existe une volonté de repousser ou d’ignorer notre finitude, ce qui rend la mort difficile à aborder ouvertement. Certains pensent même que parler de la mort pourrait la faire venir, alors on préfère l’éviter, bien que nous sachions qu’elle fait partie de la vie.

Cela dit, ces dernières années, la mort est davantage présente dans l’espace public. Des initiatives comme les cafés mortels, le Toussaint’S Festival, ainsi que des documentaires et des discussions sur les réseaux sociaux contribuent à normaliser le dialogue et à dédramatiser ce sujet.

Lions Club Genève Le deuil est une expérience profondément personnelle et souvent déroutante, avec des besoins qui varient d’une personne à l’autre. À travers vos activités, quels besoins essentiels avez-vous identifiés chez les endeuillés, et comment l’association Deuil’S y répond-elle concrètement ?

Michèle Bodmer Chaque parcours de deuil est unique. Cependant, nous avons identifié plusieurs besoins essentiels auxquels nous répondons de manière concrète :

  • Une écoute attentive et un soutien émotionnel, en dehors du cercle familial et amical, pour permettre aux endeuillés d’exprimer librement leur douleur.
  • Un accompagnement administratif, car les démarches liées à un décès sont souvent complexes et éprouvantes.
  • Un soutien personnalisé par des professionnels qualifiés, afin que chacun puisse traverser cette période à son propre rythme.

Nous mettons également à disposition une boîte à outils pour aider les endeuillés à avancer sereinement durant cette période, comme : la possibilité de rejoindre un groupe de soutien, afin d’échanger avec d’autres personnes vivant des expériences similaires ; la création de rituels pour honorer la mémoire du défunt ; des conseils pour prendre soin de soi physiquement et émotionnellement ; des conférences pour mieux comprendre le processus du deuil et apprendre à l’apprivoiser.

Lions Club Genève Vous avez évoqué que votre parcours personnel, marqué par un deuil difficile, a été un moteur dans votre engagement auprès de Deuil’S. En quoi cette expérience a-t-elle façonné votre approche ?

Michèle Bodmer La mort a toujours fait partie de ma vie. Enfant, j’ai grandi avec cette réalité et je n’en avais pas peur. Dans mon village, il était courant d’aller saluer les morts dans la crypte. Mais lorsque mon mari est décédé brutalement, j’ai été submergée, tétanisée par la douleur. Grâce à Alix N. Burnand, j’ai pu avancer sur le chemin du deuil, et c’est ainsi que l’Association Deuil’S a pris forme. J’ai ressenti le besoin de partager mon expérience et d’aider d’autres personnes confrontées à une séparation. Travailler pour Deuil’S a donné un nouveau sens à ma vie : accompagner, écouter et soutenir ceux qui traversent cette épreuve.

Lions Club Genève En organisant des événements comme le Toussaint’S Festival, Deuil’S ouvre un espace de dialogue et de réflexion sur un sujet souvent négligé. Comment ces initiatives contribuent-elles à briser les tabous et à sensibiliser le public ?

Michèle Bodmer Le Toussaint’S Festival et d’autres événements organisés par Deuil’S jouent un rôle clé dans la sensibilisation au deuil. En offrant un espace où la douleur, la mémoire et la perte peuvent être librement exprimées, nous permettons aux endeuillés de ne plus se sentir isolés. Le deuil reste un sujet délicat et parfois perçu comme un « tabou ». Nos événements favorisent l’échange, la réflexion et la compréhension, et aident à déconstruire les idées reçues. Ils rappellent que chacun vit le deuil à sa manière, sans qu’il n’y ait de « bonne » ou de « mauvaise » façon de le traverser.

En mettant en lumière la diversité des parcours de deuil à travers des témoignages, des conférences et des ateliers pratiques, nous renforçons la solidarité et facilitons l’acceptation du deuil comme une étape naturelle et humaine.

Lions Club Genève En tant que coordinatrice de Deuil’S, vous êtes témoin des difficultés rencontrées par les endeuillés et des lacunes dans notre manière collective d’aborder ces situations. Si vous aviez un message à transmettre à la société pour mieux appréhender le deuil et soutenir ceux qui le traversent, quel serait-il ?

Michèle Bodmer Il est essentiel d’être présent sur le long terme pour les personnes endeuillées, de leur offrir une écoute bienveillante et de les aider à identifier leurs besoins pour avancer. Aujourd’hui, notre société n’a plus de signes visibles de deuil. C’est pourquoi nous avons mis en place un bracelet de deuil, composé de perles symbolisant les étapes clés de la première année après un décès. Au bout d’un an, il peut être retiré et transformé en un objet symbolique marquant une nouvelle étape du cheminement.

Nous proposons également un carnet de route, qui aide à comprendre et à gérer les moments difficiles au quotidien. Autant d’outils qui permettent aux endeuillés de reprendre le contrôle sur leur processus de deuil et de devenir des "deuilleurs", c’est-à-dire des personnes qui traversent activement leur deuil, plutôt que de le subir.

Pour plus d’informations : www.deuils.org


Interview réalisée par Thierry Dime